TLH – Sierre


Janvier 2018 – recherche Remix Cubes

Nous nous retrouvons tous les trois (Fred, Pierre et Claire) à Cabannes, près d’Avignon, pour 7 jours de réflexion sur le projet de recherche autour de la comédie musicale.
Dans un an, en janvier 2019, débutera le premier stage avec les comédiens de première année de la Manufacture, la promo K. Un autre stage aura lieu en avril 2019 avec les étudiants de première année du Bachelor en danse (promo E). D’ici à janvier 2019, nous aurons aussi mené un chantier amateur au théâtre Les Halles à Sierre.

Nous commençons à réfléchir à la recherche autour de la comédie musicale. Tout part d’une vidéo de David Lynch rejouant la scène de la création du thème musical de la série « Twin Peaks » aux côtés du réalisateur. Nous avions regardé cette interview ensemble quelques mois plus tôt. En rouvrant le dossier tous les trois, on décide de la choisir comme point de départ de notre exploration. Le chemin qu’on emprunte s’enfonce alors dans une épaisse forêt, celle que David Lynch a décrite à Angelo Badalamenti. On part tous les trois en repérage dans ce sous-bois sombre et austère où l’on tente d’imaginer un monde autre ainsi que des éléments de notre odyssée.
Des thèmes affleurent et nous établissons des liens entre eux. Un mind map se dessine peu à peu. Avec ces connexions en tête, on cherche et sélectionne des matériaux (textes, vidéos, images, décors, mouvements, musiques…), trouvés principalement sur le net.
Nous décidons d’inventer un jeu de société constitué de partitions de texte qui seront attribuées à chaque étudiant. Il y aura aussi une pioche avec d’autres partitions textuelles, mais aussi corporelles et musicales, destinées au groupe entier. Elles pourront être utilisées collectivement ou individuellement. Les sources des fragments de texte individuels ne seront pas révélées aux participants durant le stage. Chacun devra, à travers ses propositions de jeu, habiter et injecter du sens dans ces éléments livrés sans contexte.
Au fil des stages, on explorera les différents aspects de la comédie musicale, en s’attachant dans un premier temps à la présence (pratique au centre de l’enseignement de Pierre) et aux ruptures que le genre induit.
Au programme de la semaine en cours : découvertes, échanges, overdoses de « Strip-Tease », délires paranormaux, envolées gastronomiques…
Je montre notamment le film-essai de Gwenola Wagon et Stéphane Degoutin, World Brain, à Pierre et Fred. Le monde et les utopies qui y sont développés résonnent avec une partie des thèmes auxquels on a choisi de s’intéresser.

On se quitte repus. On a quelques mois devant nous pour rêver de cette forêt qu’on envisage comme un laboratoire d’alternatives et d’inventions en réaction à l’obsession de nos sociétés modernes pour la performance, la mémoire et le stockage.

Mai 2018 – séjour à Malévoz – quartier culturel


Nous profitons des dates de représentation de Tokaïdo au théâtre du Crochetan pour travailler quelques jours au quartier culturel de l’hôpital psychiatrique de Malévoz sur le projet « La Voix de leurs maîtres », qui donnera lieu à une représentation en janvier 2019 à Sierre.

En mars, Pierre et Fred ont eu rendez-vous avec Alexandre Doublet au TLH pour discuter du chantier amateur. Sur la route qui les ramenait chez eux, ils ont eu l’idée d’un spectacle qui mettrait en scène des amateurs de chiens et proposerait d’explorer la relation entre des maîtres et leurs canidés. A ce stade, Pierre et moi avons commencé à écrire et Fred à lister des interlocuteurs potentiels.

A Malévoz, les lieux ne ressemblent pas exactement à l’idée que je me faisais d’un hôpital psychiatrique. Douze pavillons posés sur un parc arboré à flanc de montagne, des prairies en fleur, des arbres majestueux. L’un des bâtiments a été transformé en résidence d’artistes : le quartier culturel de Malévoz est un asile dans son acception la plus douce. Une bulle à l’écart de l’agitation et de l’hypocrisie du monde contemporain. Être là, c’est déjà baisser la garde, cesser de mentir et de se mentir.

Convalescents, personnel hospitalier et artistes en résidence vivent ensemble, s’associent ponctuellement, se regroupent au cours d’ateliers tenus dans des décors dépareillés : restaurant baigné de lumière, pavillons au charme désuet meublés avec chic, chalets authentiques en bois, buvette bariolée. C’est dans ce dernier lieu qu’on s’installe pour concevoir l’affiche qui nous permettra de rassembler les participants. Mon amie Delphine Crépin nous prête gracieusement l’une de ses photos.

La buvette du service culturel est tenue par d’anciens convalescents. Tiphanie nous propose des boissons. Son chien Django l’accompagne. Il est nonchalant et fait preuve d’un bel esprit de contradiction. Elle est discrète et réservée. La conversation s’engage grâce au chien. Elle nous parle un peu de lui et de leur relation. On imagine déjà qu’ils seront nos deux premières recrues.

Django et Tiphanie

Le matin, on prend nos petits déjeuners à la cafétéria, un bâtiment moderne qui offre une vue imprenable sur la ville de Monthey et les montagnes alentour.

C’est l’endroit de l’hôpital où tout le monde se croise : convalescents, infirmiers, cuisiniers, employés de l’HP, artistes résidents, visiteurs… Difficile de distinguer les uns des autres, parfois.
Un hôpital psychiatrique ouvert, c’est une expérience qui résonne avec les utopies auxquelles on rêve pour le projet de comédie musicale.

En sirotant mon thé sur la terrasse, je prends quelques notes dans mon cahier. Un jeune homme se plante devant moi. Dans un autre environnement, je le soupçonnerais d’avoir fumé plusieurs joints bien chargés.
– Madame, vous écrivez quoi ? Ça a l’air super d’écrire.
– Euh… vous voudriez voir ce que j’écris ?
– Non mais c’est l’écriture, la votre, elle a l’air super.
– Alors vous voudriez que je vous écrive un mot ?
– Oui.
– Que voulez-vous que j’écrive ? Votre nom ?
– Karim.
– Bon, alors je découpe un morceau de feuille. Mais vous n’écrivez pas, vous ?
– Non, j’aimerais bien, un jour.
– Alors il faut s’y mettre !
Il repart, hagard, son bout de papier entre les doigts.

Une fille traverse la pelouse, cathéter dans le nez, téléphone collé contre l’oreille. Elle n’a que la peau sur les os.
A deux tables de moi, un type que j’ai croisé en allant me servir, dégaine et carrure de repris de justice, est assis de dos. Il porte un polo sur lequel des lettres brodées relient ses omoplates et m’informent : « The sky is not the limit ».

Septembre 2018 – semaine du 17 au 22 septembre

Nous nous réunissons pour une semaine de travail à Sion. Au programme : enquête préparatoire pour le spectacle « La voix de leurs maîtres » et casting de participants. On cherche des duos de maîtres et de chiens partants pour un tournage de bande-annonce (prévu les 19 et 20 octobre) et pour la représentation du 19 janvier au TLH Sierre.

Depuis fin août, Fred anime un atelier de comédie musicale pour la volée Duras option théâtre de l’école de l’Alambic à Martigny. L’occasion de tester la matière rassemblée pour le stage que nous donnerons aux étudiants de la Manufacture avec des élèves un peu plus jeunes. Le mercredi matin, Fred nous invite à une présentation d’étape de travail. Les étudiants se sont emparés du projet avec beaucoup d’énergie et d’enthousiasme. Pierre et moi formulons des retours sur le filage auquel on assiste. Ils nourrissent la suite du travail jusqu’à la présentation de la pièce, le 9 octobre.
Il est question que ces jeunes poursuivent le travail de recherche entrepris dans le cadre d’un chantier amateur au TLH en 2019-2020.

L’après-midi, nous reprenons nos recherches pour La Voix de leurs maîtres. On cherche avant tout un éducateur canin qui saura nous guider et nous aider dans notre parcours. On appelle un premier contact professionnel trouvé en ligne. Quelques heures plus tard, Florence Debons, éducatrice canine, nous reçoit sur le terrain où elle officie, à Saviese.

En arrivant, on croise les élèves et leurs chiens qui sortent du cours. L’ambiance est joyeuse. Nous exposons notre projet à Florence : décrire la relation entre maître et chien et les subtilités de cet attachement dans le quotidien. Le coup de cœur est immédiat et réciproque. L’entente est évidente, elle nous semble parfaitement saisir ce pour quoi on la sollicite et prête à embarquer dans cette aventure pleine d’inconnues. Florence sera notre éducatrice canine. Elle encadrera le tournage de la bande-annonce du spectacle ainsi que la préparation du spectacle, auquel elle souhaite aussi participer avec ses chiens.

Quelques heures plus tard, elle nous transmet une liste de contacts. Dès le lendemain, nous sillonnons les alentours à la rencontre des futurs participants.

On fait la connaissance de Nadine et Lydia à Nax, de Florence et Oara à Sion, de Laëtitia et Aïra à Sierre, de Roselyne et Julius à Saviese, et on prend rendez-vous avec de nombreuses autres personnes pour le mois d’octobre.

Plusieurs fois par jour, nous exposons nos intentions. Nous cherchons des duos de maîtres et chiens ordinaires, sans compétences particulières, doués de sens commun, disposés à s’ouvrir et à lever le voile sur une partie de leur intimité avec leur chien.
On imagine alors des tableaux très simples : faire apparaître un maître et son chien et se servir de chansons pour raconter la relation ; lire un conte philosophique à plusieurs chiens ; faire apparaître ces duos et leur faire traverser le plateau ; recréer des scènes de la vie ordinaire (siestes, repas, promenades).
L’accueil est plutôt enthousiaste. Personne ne voit vraiment où l’expérience va mener mais tous acceptent de nous suivre.

Octobre 2018 – semaine du 15 au 21

Le casting de maîtres et de chiens pour la représentation du 19 janvier prochain suit son cours. Cette semaine, les duos nous ont rejoints sur le plateau du TLH Sierre.
On teste plusieurs dispositifs, les chiens et leurs maîtres se familiarisent avec l’espace du théâtre. On joue, on court, on rit et il flotte un parfum de comédie musicale… entre deux sessions de recherches.

Vendredi 19 et samedi 20 octobre

Tournage de la bande-annonce et réalisation de la série de portraits dans le théâtre par Gilles Vuissoz.

Décembre 2018 – du 18 au 21

Retrouvailles au TLH Sierre pour poursuivre l’écriture de La Voix de leurs maîtres, définir la scénographie et discuter de nos idées avec Florence, l’éducatrice canine qui nous accompagne dans cette joyeuse exploration.

Pierre s’est inspiré de Chiens du philosophe Mark Alizart, Claire décortique Le Manifeste des espèces de compagnie de Donna Haraway et ses réflexions sur la coévolution. A partir de ces sources, de nos échanges et de nos rencontres, des idées de narration émergent. Florence nous aide à projeter le déroulé du spectacle, les entrées et sorties des tandems de maîtres et de chiens.

Sur le plateau, avec l’aide de Jean-Etienne, on teste des traversées de chiens, le chant, des déplacements et divers dispositifs avec deux des bouledogues anglais de Florence Debons.

Ce qui donne lieu à des déclarations en tout genre
(ou plutôt en l’espèce)

Vendredi 21, nous partons enregistrer des voix et des archives sonores
avec quelques maîtresses de chiens à la Pitrerie, avec Gilles Vuissoz.

Florence FL en studio, dirigée par Pierre

On se quitte le soir en se souhaitant de bonnes fêtes, impatients de poursuivre dès le 7 janvier 2019.

Plus que deux semaines de travail intensif en janvier avant la représentation de La Voix de leurs maîtres, le 19/01/2019 au TLH.

Janvier 2019 – du 7 au 19…

Lundi soir, nous avons convié tous les participants humains du spectacle du 19 pour faire plus ample connaissance et s’approprier le plateau. Ambiance conviviale et chaleureuse. Les premiers essais de traversées collectives sont plus que réconfortants. On sent que la somme de toutes ces énergies va produire des choses surprenantes. Avant de repartir, on donne rendez-vous à chacun au cours de cette première semaine pour travailler chaque scène. Et on décide de tous se revoir en compagnie des chiens pour un premier filage le dimanche 13.

Chaque moment passé avec les participants nous offre son lot de rires, de surprises et d’émotions.

J’enregistre des entretiens avec les participants tandis que Fred et Pierre reçoivent les duos sur le plateau et les familiarisent avec les codes de la scène.

Le rêve de Laëtitia
Le cauchemar de Nadine
Joey et Sylvia

En 3 épisodes, Sylvia et Jean racontent leur parcours avec Joey, chien de refuge sauvé par ses maîtres, en partie grâce à la pratique de la dog dance :

Sylvia, Jean et Joey – 1 – Walk like an Egyptian
Sylvia, Jean et Joey – 2 – Le refuge
Sylvia, Jean et Joey – 3 – DogDance thérapie
Les menus des chiens
Pierre, un homme sur le point de faire une découverte
en compagnie d’un chien, Aykan…
Les filles d’à côté.
Les jolis chiens de Florence
Coup de foudre pour Ayton
Marc-André et deux de ses chiens
Les passions canines et sportives de Marc-André

A partir du dimanche 13, tout s’accélère.
Le lundi 14, on voit Vincent Staub et on fixe la scène qu’il jouera avec sa meute, sur le parking du théâtre :

Tout le reste de la semaine, on poursuit nos rencontres sur le plateau, on monte les interviews faites avec les maîtres, on imagine une bande-son pour des traversées à partir d’ambiances et de témoignages, et on crée des scènes de soap opera.

Avec une bonne vingtaine de scènes différentes et les changements de plateau que ce nombre induit, les conseils avisés de Florence, éducatrice canine, nous sont plus que précieux.

La date du samedi est complète et le TLH décide d’ouvrir la générale du vendredi au public. Tout va très vite…

Les deux soirs, Aline, la grand-mère de Fred, nous fait l’honneur de participer au spectacle pour nous raconter ses histoires assez particulières avec les chiens.

On se quitte tous enchantés de cette incroyable expérience. Reste à voir ce que donnent les photos du spectacle puisque nous étions tous en coulisse…

On aimerait poursuivre le travail, trouver d’autres opportunités pour développer davantage certains aspects, aller plus loin dans l’exploration de la relation entre humain et chien.
Un jour de répit le dimanche, et c’est reparti pour l’atelier Comédie musicale que la compagnie propose à la Manufacture.

Janvier 2019 – du 19 au 31

Nous donnons deux semaines d’atelier aux comédiens de 1re année de la promo K.

Chaque journée démarre avec 2 heures d’atelier Gaga danse avec Géraldine Chollet. Une heure d’échauffement suivie d’une heure de répétition du  vocabulaire et des phrases de mouvement que l’on crée jour après jour.

Christoph Koenig nous a rejoints pour mettre au point les tableaux collectifs chantés.

On écoute, on regarde et on commente les propositions des 16 étudiants qui se démènent toute la journée pour travailler sur les ruptures, trouver la forme de présence dont on ne cesse de leur parler. Et c’est peu de dire qu’ils nous étonnent…

Avril – du 1er au 18

Nous donnons un nouveau stage aux étudiants de 1re année du Bachelor en danse de la Manufacture, promotion E. Géraldine Chollet et Christoph Koenig interviennent respectivement pour la danse et pour la musique.

12 élèves de cette promotion participent au stage. Les étudiants parlent diverses langues : néerlandais, hébreu, mandarin, portugais brésilien, allemand, italien, anglais, français… Or on a justement modifié le programme depuis janvier et Pierre a choisi un texte… en français.

Le premier jour, on propose des exercices d’impro auxquels chacun peut se prêter dans sa langue. Les deux jours suivants, on passe beaucoup de temps à traduire et faire comprendre le texte, ce qui n’est pas sans décourager certains… mais on insiste pour que chacun trouve son espace d’expression.

Les enjeux de ce stage diffèrent largement de celui donné aux étudiants en théâtre en janvier. Avec les danseurs, qui sont à l’aise physiquement et capables d’inventer et créer des chorégraphies en quelques minutes seulement, on travaille davantage sur la présence, les ruptures dans le jeu, la langue et le texte. On cherche à faire en sorte que l’aisance et la fluidité du corps puissent se traduire dans le jeu en maniant les mots.

Quelques sons pris pendant l’atelier